Depuis 26 ans maintenant, le Dour Festival réunit des milliers de fêtards autour de styles musicaux des plus variés : pop, hardcore, rock, hip-hop, metal, drum and bass, electro, reggae ou techno. Dour est inclassable. Ni « mainstream », ni confidentiel (200 000 personnes ont arpenté les allées de l’évènement cette année, et les têtes d’affiche sont au rendez-vous), il est le seul à afficher un tel éclectisme, et avec une telle ampleur.
Pour cette édition 2014, je me suis rendu à Dour. Et à l’heure où j’écris ces lignes, je ne m’en suis toujours pas remis. J’ai proposé mon récit à Vocododo, dont je suis lecteur assidu.
Arrivée
En arrivant à Dour avec mon billet « 4 jours + Camping », j’ai vite compris qu’ici la fête ne débute pas avec l’ouverture de la programmation officielle. Le camping ouvre le mercredi matin. Et il est bondé… dès le mercredi matin. Arriver tranquillement le jeudi en fin de matinée c’est avoir la certitude de trouver une place pour sa tente au bout du dernier camping, à plus de deux kilomètres des scènes…
Le paysage est saisissant. Cette année 40000 campeurs seront présents chaque soir dans ce qui s’apparente à une ville faite de tentes (il y en a à perte de vue), de chapiteaux, et d’installations modestes abritant les sanitaires et les échoppes permettant de se rassasier.
Sous un soleil de plomb, en ce jeudi matin, les festivaliers se préparent à vivre 4 jours intenses. Je comprends vite ce qu’est Dour : un festival à l’ancienne, authentique, dur, abrupt, dont le seul est unique but est de profiter d’une programmation pointue.
Jour 1
Il fait 35 degrés à l’ombre aujourd’hui, et il ne devient réellement supportable d’assister au concert qu’à partir de la fin d’après-midi, sous peine de bouillir devant la « main stage » ou sous les chapiteaux des autres scènes qui l’entourent.
Le concert de Chet Faker est le premier auquel j’assiste. Une manière agréable de commencer à se mettre dans le bain, en se laissant bercer par la voie douce et sensible de cet australien connu pour avoir déjà collaboré sur des morceaux de Flume ou de Say Lou Lou. Sous le Dance Hall, la foule compacte et transpirante l’écoute réciter son premier album, Built On Glass, sorti en avril : une ode aux hipsters. Chet Faker et son Down Tempo de qualité ont malheureusement du mal à nous sortir de la léthargie dans laquelle la chaleur nous a plongé. Tout de même très bon.
Dehors, les métalleux de Soulfly entame leur show. Même si ce n’est pas pour eux que je suis venu, je dois avouer que l’agitation des fans qui n’en finissent plus de tourner en rond devant la scène donne aux pogos un côté très esthétique.
Pour moi ce ne sera qu’une pause à l’air libre, avant de retourner dans la fournaise du Dance Hall découvrir le nouveau Live Band de Bondax. Ces jeunes DJ déjà bien installé ont surpris par leur capacité à proposer quelque chose d’unique et surprenant.
22h. Darkside ou The Subs. L’heure du dilemme. Je ne raterai pas Darkside, mais un pressentiment m’incite à aller voir les Belges jouer à domicile.
Banco. La prestation de The Subs est peut-être la meilleure de cette première journée. Un festival de n’importe quoi, de show débridé, et de bain de foule. Une foule elle aussi déjantée à l’image du fou qui escaladera la structure métallique du chapiteau jusqu’à réaliser des figures acrobatiques à une quinzaine de mètre au dessus des milliers de festivaliers groupés en dessous… The Subs commence le concert derrière un filet qui disparaitra ensuite pour nous permettre de voir l’effet kaléidoscopique du décor de fond, et laisser Jeroen de Pessemier se jeter dans la foule ou se balader sur sa scène mobile. "The face of the planet", "Fuck that shit", les tubes s’égrènent, à l’exception du désormais classique “Pope of Dope” que Party Harder est trop bourré ce soir pour chanter. On en prend plein la vue. Une valeur sûre.
Je quitte le DanceHall pour assister à la fin du concert de Darkside en me frayant un passage jusqu’à la petite maison. Juste le temps pour moi de goûter aux beats ralentis, aux riffs bien placés, et aux envolées complètement perchés. Les compositions particulièrement efficaces de Nicolas Jaar et Dave Harrington sont finalement assez rock. Il faudra les revoir.
Après la Down Tempo de Chet Faker, voici celle de Bonobo, sur la main stage. Les festivaliers sont nombreux à s’être massés ici pour écouter le set du DJ anglais, dont je trouve qu’il manque de tonus.
Evitant soigneusement le « Harlem Shake » de Baauer, je finis cette première journée avec Gramatik. Sa musique inclassable et incroyablement variée me prend au trippes : funk, jazz, soul, beats épurés et scratchs hallucinants.
Il est 2h, il fait enfin un peu plus frais, je regagne le camping. Certains y feront la fête toute la nuit, aidée par les nombreuses pilules qui circulent et par les basses qui raisonnent toujours au loin.
Jour 2
La chaleur est encore plus accablante que la veille. Sur le chemin pour me rendre à la scène, je croise un convoi de pompiers filant à vive allure. J’apprends quelques heures plus tard que l’un des « nôtre » ne rentrera pas chez lui, emporté cette nuit par les excès de la veille. Après un moment de flottement et une panique du côté des organisateurs, la fête bat de nouveau son plein.
Je brave la chaleur pour aller danser sur les mélodies mystiques de Slow Magic. Il faut voir ce magicien vaudou sur scène, caché derrière son masque à plume, et tapant de toutes ses forces sur ses percussions comme sur les boutons de ses boites à rythme. Je suis subjugué. Corvette Cassette rassemblera dans le même rêve les festivaliers présents.
Je reviens beaucoup plus tard du côté de la petite maison dans la prairie pour voir ce que peut donner la pop-rock de Klaxons. Le côté sage et les rythmes bien huilés des londoniens me feront bouger un peu sans me transcender totalement. Heureusement qu’ils n’ont pas joué que le dernier album…
Je poursuis avec une viré du côté de chez Bakermat dont le set est diffusé un peu plus loin par un mur d’enceintes au milieu d’une foule immense. Toujours aussi entêtantes, les mélodies jazzy du DJ palissent d’un set assez aseptisé qu’on aurait voulu plus vivant avec par exemple un saxo live comme Gramatik l’avait osé la veille.
Jour 3
L’orage approche de la plaine de Dour, rafraichissant un peu l’atmosphère. De mémoire de festivaliers, jamais nous n’avions autant attendu la pluie. Vient alors une question : Dour en mode canicule est-il préférable à Dour dans la boue ?
Le programme de la Main Stage fait la part belle aux grosses têtes d’affiche : Cypress Hill, Girls in Hawaii et The Hives. Les premiers sont très convaincants et me font oublier un instant mon aversion au rap. Les seconds font toujours office de somnifère. Quant à Pelle Almqvist, il fait le show quitte à en faire des tonnes et baratiner allègrement avec le public entre chaque « tubes ».
Suivant d’assez loin ces concerts, je profite de cette journée pour me reposer, avec pour principal objectif de ne rien manquer des concerts de Rone et de Clark, seuls événements majeurs selon moi pour ce troisième jour de festival.
Rone est passé il y a quelques temps à Paris au Showcase pour un live incroyable qui m’a donné envie de voir ce que ça donne avec beaucoup plus de monde. En arrivant au Dance Hall je reconnais sa table de mixage blanche aux motifs futuristes. Puis arrive celui qui ne propose son électro enjouée qu’en live. Apache raisonne comme un signe de ralliement. Les variations de So So So mettent la salle en apesanteur. La petite mélodie de Parade trouve son écho dans le bruit de la pluie qui commence à s’abattre à l’extérieur. Bye Bye Macadam raisonne majestueusement. Pas de Bora Vocal aujourd’hui, apparemment rarement présente en set list (elle aurait sans doute été saccagée). L’artiste et sa timidité légendaire quitte l’estrade, laissant un vide douloureux. Les commentaires en fin de concert sont unanimes : Rone c’est grand, c’est élégant.
Petit tour sur la Cannibal Stage habituellement réservée à la programmation métal pour écouter la techno tribale de Clark, un mentor de Rone par son avant-gardisme. Ici cependant, la musique est plus agressive et plus sombre. Une superbe manière de clore cette troisième journée.
Jour 4
Il va falloir tenir la distance… Connan Mockasin, Kaiser Chief, Phoenix, Daniel Avery, Boys Noize et Mr. Oizo pour clôturer ces quatre jours de bonheur. Même avec l’alcool aidant, il va falloir doser son énergie.
L’électro-pop psychédélique de Connan Mockasin, qualifiée de « chimérique et déjantée » par les programmateurs, est une bonne mise en jambe. J’ai particulièrement aimé le rendu Live de Forever Dolphin Love. Look de hippie, chemise bariolée, longue chevelure blonde, Connan Mockasin propose quelque chose de chaud, de doux et de tourmenté. A voir !
A la nuit tombée, Kaiser Chief s’apprête à enflammer la Main Stage. Les anglais mettent un peu de temps à se chauffer mais Ruby est un bonheur que l’on ne saurait rater. Les Kaiser ont dix ans, ils sont maintenant bien installés. La foule devant la scène est immense.
A peine une heure pour se reposer avant la prestation de Phoenix qui aura marqué le festival. J’ai alors l’impression que les Versaillais sont ceux qui mobilisent le plus depuis de début du festival. Devant la Main Stage, la foule s’étale à perte de vue.
Des images du château de Versailles sont projetées en fond de scène, déclenchant l’hystérie des fans. Puis les membres du groupe s’avancent et entament « Entertainment ». La grande scène sonne très bien pour la première fois du week-end, et les Phoenix déroulent leurs classiques. Le public se rend alors compte qu’il connait plus ou moins tous les tubes d’un groupe qui prend finalement de l’âge. Thomas Mars, visiblement ivre, ne rechigne pas devant l’effort et part à plusieurs reprises prendre quelques bains de foule pendant des ponts instrus savamment orchestrés. Au terme d’un live de qualité, les musiciens quittent la scène comme ils sont venus, sans en faire trop.
La pluie arrive en même temps que Boys Noize, rendant son set encore plus chaotique et violent. La foule est déchaînée et brandit les smileys en carton qui ont été distribués. XTC sert d’introduction. Les animations projetées en fond de scène rajoutent au caractère « grande messe » du concert. Rapidement & Down ou encore Jeffer raisonnent. Les festivaliers se moquent bien de la pluie qui n’arrivera pas à gâcher la fête, bien au contraire. A quelques heures de la fin du festival, les corps se bousculent comme dans un état second.
En fin de concert, les spectateurs de la grande scène se déplacent comme un seul homme vers le DanceHall pour ne pas rater une miette de ce que va nous proposer Mr Oizo. Sous un chapiteau absolument bondé, et avec une régie utilisant un éclairage blanc des plus simplistes, on ne sait plus si l’on est à Dour ou à Friedrichshain. Ce dont on est sûr, c’est que l’on est des animaux, et Quentin Dupieux doit avoir l’impression de remuer sa bière avec un batteur électrique en voyant la foule se diriger, se balancer, et s’entrechoquer selon la mécanique des fluides. L’état d’esprit est le suivant : c’est le dernier concert, si on se casse un truc, on ne ratera rien et on rentrera plus vite en ambulance…
Lorsque les dernières enceintes s’éteignent, c’est comme un rêve qui prend fin. On se sentait à bout de fatigue il y a 3h, et là on a simplement envie de continuer. Pourtant, il faut bien finir par se résigner et rentrer au camping, en admirant le levé de soleil.
Départ
En partant, j’ai la sensation d’abandonner mes 40000 amis du camping. Reste le sentiment d’avoir vécu un grand défouloir avec des gens qui parlent le même langage : celui de la musique et de la fête. Et puis en 2015 on a décidé que ça durerait 5 jours. Juste pour se voir peu plus longtemps.